CHRONIQUE D’ENFANT 7 Le temps de Bouscasse 1
Ma mère revint un jour de l'hôpital et rencontra un homme de quinze ans son aîné.
Je n'ai aucun souvenir de cette époque de transition. Je l'ai peut-être enfoui dans ma mémoire comme à d'autres époques de ma vie.
Je me souviens très bien par contre de cette toute petite maison de village que nous avons occupé dans la rue Sœur Audenet du quartier de Bouscasse à Castres.
J'ai la mémoire surtout du jardin derrière la maison avec quelques massifs d'iris, un poulailler et deux cages à lapins.
Ma mère m'avait acheté un cochon d'inde. Nous avions également une poule et un chat.
J'étais dans ma sixième année. Le soir, en rentrant de l'école, (j'allais et je rentrais de l'école tout seul avec ma grosse clé attachée autour du cou, sous mes vêtements) je ramassais des laiterons et autres herbes pour mon cochon d'inde qui finit par être énorme à force d'être gavé de toute sortes de bonnes choses.
Ma mère m'avait averti qu'il pourrait en mourir d'être trop gros ;je le sortais donc de sa cage presque tous les jours et lui faisait prendre de l'exercice avec la complicité active du chat qui lui courait après en tournant en rond autours des massifs d'iris.
Ma quiquine de cochon d'inde courrait à toute allure devant le chat en poussant des cris stridents. Elle ne devait pas être trop effrayée car à certains moments elle stoppait net, se faisant parfois télescoper par le chat et repartait dans l'autre sens dans une course toute aussi débridée.
Le chat qui n'appréciait que le rôle de chasseur, s'éloignait alors dignement pour aller observer la scène à quelques mètres de là.
Je m'occupais aussi de ma poule avec soin, lui ramenant des escargots et tout ce qui était comestible de nos repas. Pour elle, je me suis fait chasseur.
J'avais remarqué, en allant faire pipi dans le jardin dans le noir, avant d'aller me coucher, que le soir, avec la nuit et le retour de la fraîcheur, les vers de terre sortaient du sol.
Je quémandais à ma mère la lampe Leclanché à boîtier plat rangée dans un tiroir de la cuisine, et je ressortais dans le jardin, pieds nus, muni d'une boite de conserve vide.
Là, je me transformais en indien sur le pied de la chasse. D'un coup de lampe rapide je repérais un lombric, j'avançais à pas mesurés comme un lion dans la savane et d'un mouvement vif je me jetais sur ma proie avant qu'elle n'ait eu le temps de se réfugier dans son trou.
C'était un art difficile car au début je faisait tellement de bruit que je n'attrapais que le premier. Après moultes campagnes de chasse je devins un expert et j'allais montrer fièrement le produit de ma chasse à ma mère qui s'exclamait toujours avec fierté à la vue de mon fond de boite grouillant et visqueux.
C'est l'époque aussi où je m'exerçais aux cris des animaux. En dehors des miaulements du chat, j'avais une prédilection pour les gallinacés.
Je m'exerçais dans la cabane du fond du jardin qui servait de toilettes.
J'imitais le cris du coq avec une telle force et une telle vérité que mon plaisir, le soir, était de faire, sur mon appel, chanter tous les coqs du quartier.
J'ai perdu, hélas en muant à l’adolescence cette capacité à émettre des cocorico éclatants, (mais je fais toujours la poule et autres animaux pour le plaisir des petits).
Je me rappelle également ce moment de confusion extrême lorsque, un jour, déculotté sur le trône de la cabane des WC du jardin, je m'exerçais au cri de la poule poursuivie par un fermier pour lui tordre le cou.
Tout d'un coup, de grands coups de poing ont ébranlé la légère porte des toilettes. C'étais la voisine qui inquiète et complètement mystifiée avait pris la décision d'intervenir avant que ne se produise une quelconque catastrophe.
Mon troisième ami était le chat. Nous n'avions pas de rapports très intimes car il restait très indépendant, mais souvent, il venait me voir sans raison spéciale et passait un instant à me manifester son affection par des frottements délicats contre mes jambes nues et un ronron sonore.
Le soir, lorsque je rentrais seul de l'école après l'étude, j'étais sûr de le retrouver sur le bord du toit de notre petite maison, une patte pendante dans le vide et la tête appuyée sur le bord de la tuile. Il m'attendais, fidèle au poste, et dés que j'enclenchais ma grosse clé dans la serrure, il disparaissait du toit pour réapparaître aussitôt entre mes jambes et entrer avec moi dans la maison.