CHRONIQUE D’ENFANT 6 La lessive

 

Mes grands parents avaient tous les deux le sang vifs et il arrivait parfois que le ton monte assez vite. Alors qu'ils s'exprimaient ordinairement en français, dès que les invectives arrivaient elles se faisaient en patois.
Ayant l'habitude de telles altercations je ne m'inquiétait nullement car immanquablement mon grand père sortait dans le jardin en claquant la porte tout en rouspétant et presque à chaque fois ma grand mère marmonnait pour elle «canto, canto, cantarelle, quand aura fini dé canta té calora » (chante, chante, chanterelle, quant tu aura fini de chanter tu te tairas ).
Je leur dois de savoir parler un peu le patois car ma grand mère lorsqu'elle avait à exprimer quelque chose d'utile ou de profond le faisait dans un patois que j'ai toujours entendu et qui de ce fait a été un peu ma langue maternelle et ma vie est toujours émaillée à ce jour de ces sentences qui me remontent à l'esprit selon les circonstance de la vie.


Une image très floue me remonte aussi en mémoire, c'est une petite grève de menus galets plats s'avançant dans le creux d'un coude de la rivière que j'ai reconnue plusieurs années plus tard, lorsque j'avais l'age et le droit d'aller me promener tout seul.
Il y a là trois ou quatre femmes dont ma grand mère habillée de noir et de gris avec son grand tablier à petites fleurs multicolores. Toutes sont agenouillée à même la berge, il me semble, en train de frapper à grands coups de battoir en bois sur une pièce de linge disposée sur une petite planche noire et luisante.
J'ai appris plus tard que ma grand mère louait plus jeune ses services en lavant le linge du voisinage à la rivière pour amener quelques sous supplémentaires à la maison.
Ce dont je me souvient plus nettement par contre c'est le rituel de la lessive.

Il y avait à cinquante mètres de la maison en allant vers la ville, une toute petite scierie aux odeurs enivrantes et à la charpente joliment décorée de grandes toiles d'araignées blanchies par la poussière.
 Cette scierie tout à coté était très pratique pour ma grand mère car elle y achetait, je suppose pour une somme dérisoire, une belle quantité de sciure qui était stockée dans un coin de l'ancien logement du cochon dans la remise, à coté du tas de bois et du tas de charbon pour la cuisinière.
Il y avait également dans la cour de derrière, une âtre de cheminée maçonnée en hauteur en s'appuyant sur la maison et sur le mur mitoyen . Dans le triangle laissé libre sous l'âtre trônait une énorme lessiveuse en fer galvanisé au cul noirci par l'usage malgré ses récurages à la paille de fer. Cette lessiveuse était installée sur un récipient cylindrique du même diamètre et monté sur trois pieds de fer.
C'est maintenant que l'on reparle de la sciure. J'étais le préposé au transport de celle-ci dans un grand seau de la remise à l'âtre

Ma grand mère, après avoir ôté la lessiveuse enfilait bien droit un gros bâton cylindrique dans un trou pratiqué au centre du récipient et versait tout autour au fur et à mesure de mes transports, des seaux de sciure en la tassant longuement et soigneusement avec un morceau de bois à bout plat. Après de nombreux seaux, le feu, car c'était un feu, était enfin prêt, rempli à ras bord.
Le moment délicat était arrivé. La main gauche maintenant la sciure, ma grand mère enlevait tout doucement en le tournant d'un coté et de l'autre le gros bâton. Celui-ci enlevé, il restait un beau gâteau de sciure percé d'un magnifique trou aux bords bien lisses.
La lessiveuse contenait un tuyau magique en son centre, coiffé d'un grand chapeau plat et joufflu percé tout autour de petits trous. Ce tuyau s'ajustait sur le bas sur une espèce de grand chapeau chinois percé de trous et posé au fond de la lessiveuse. La lessiveuse était posée délicatement sur son socle avec son équipement et remplie du linge à laver jusqu'à dix centimètres du bord. Ceci étant fait, ma grand mère puisait avec un grosse et vieille casserole ce que je croyais être de l'eau dans une très grosse marmite à couvercle qui se trouvait à coté (j'ai su plus tard que cette eau était de la lessive issue du lavage des cendres du bois de la cuisinière)
Et là, tout était prêt pour le prodige !
Ma grand mère disposait artistiquement par terre entre les trois pieds de fer du pot à sciure du papier journal froissé et des bûchettes de petit bois et le départ était donné par la petite flamme d'une allumette.
Un feu vif et fumeux se développait rapidement et bientôt la fumée commençait à sortir tout autour du fond noirci de la lessiveuse. L'air brûlant et les flammes du petit feu de bois passant dans la cheminée de sciure avait mis le feu à celle-ci qui allait brûler lentement pendant des heures.
Après un très long moment le miracle que j'attendais patiemment arrivait: le chapeau du tuyau de la lessiveuse après avoir un peu crachoté faisait couler une quinzaine de petits jets d'eau sur le linge en une belle géométrie.
Je ne me lassais pas de regarder ce prodige et comme personne ne savais me dire pourquoi l'eau coulait, cette question est venue rejoindre la longue litanie de mes interrogations sans réponse.
Je me souviens qu'à cet age j'étais une véritable boite à questions sur pattes, ceci doublé d'une grande passion du furetage pour trouver dans la nature et dans la maison matière à alimenter mon insatiable besoin de fabriquer toute sortes de trésors roulant, navigant ou volant.

 

Autres textes et articles sur la lessive :

- http://lemorvandiaupat.free.fr/lessive.html
- http://www.memoiresvivantes.org/bulletin/bulletin18_labue-lessive_2006.pdf
- http://www.lesamisduterroir-sevrier.com/la_lessive_au_cuvier_1226.htm
- http://www.la-giettaz-patrimoine.org/article16.html
- http://vezy.sud-gresivaudan.org/SIT_MINI_CODEENTREE/SIT_MINI_URL/7245-la-buye.htm

- http://www.memoiresvivantes.org/bulletin/bulletin18_labue-lessive_2006.pdf

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