CHRONIQUE D’ENFANT 8 Le temps de Bouscasse 2

 

Le quartier de Bouscasse était un véritable petit village dans la ville avec ses vieux, ses notables (le pharmacien, l'épicier, le marchand de graines...), ses familles, ses enfants et « les grands » que je regardais de loin jouer au ballon ou à d'autres jeux vigoureux.

Souvent, les soirs d’été, les chaises étaient de sortie sur le trottoir, qui avec son tricot, qui avec sa broderie, qui avec son verre de vin rouge. D’autres voisins remontaient lentement la rue, s’attardant avec chaque groupes assis et se voyant même offrir un siège et un verre de vin.

A la fin du printemps, à la saint Jean peut-être, il y avait la fête, pas la fête foraine mais la fête tout court, sans les manèges et sans les flon-flon officiels.

La fête, c'était les gens du quartier et des environs. On invitait je suppose la famille du coin, mais cela restait une manifestation quasi villageoise et presque familliale et tout le monde était là.

 

L’installation de le fête était simple et réduite au strict minimum. Il ne devait pas y avoir beaucoup d'argent dans les caisses de la communauté.

Il y avait à cent mètres de notre maison en sortant de la ville un terrain vague pas très grand que l'on équipait pour l’occasion de quelques poteaux auxquels étaient suspendues  de chiches guirlandes d'ampoules plus proches des lumignons que nos éclairages actuels.

Des semaines auparavant, c'était, je me rappelle, l'effervescence. Tout le monde ne parlait que de le fête.

Les enfants passaient de porte à porte pour vendre des billets de tombola dont les lots étaient exclusivement issus des commerçants et des particuliers du quartier. Les lots étaient à la mesure de ses habitants, modestes et parfois tout à fait inutiles, mais l'important n'était pas là. Peu importe que l'on gagne un lot affreux qui chaque fois était redonné à la tombola suivante, les gens en riaient à l'avance.

L'important, c'était la fête !

Le soir arrivé, tout le monde sans exception sortait de chez soi.

C'était le soir où l'on sortait la grand-mère avec ses deux cannes ou le grand- père sur son fauteuil roulant.

Les enfants couraient dans tous les sens, au comble de l'excitation.

Une longue procession s'ébranlait tranquillement dans le crépuscule.

 C'était des embrassades, des poignées de main et des accolades viriles à chaque pas.

Chacun prenait des nouvelles des autres et s'échangeait les derniers potins. Les familles s'agglutinaient par affinité, formant des vagues successives .

Il y avait dans cette atmosphère une ambiance bon enfant, un bourdonnement affectueux où l’on taisait les querelles habituelles de voisinage et où se réglaient parfois des différents anciens à la chaleur des retrouvailles.

 

Il y avait sur le terrain quelques étals de confiseries et de douceurs. Exceptionnellement tout les parents sortaient leur porte monnaie pour accéder à la demande pressante des enfants.

Le choix n'était pas large, je me souviens en particulier de ces sifflets en sucre emmanchés d'un petit bâton que chacun essayait avant de l'acheter, de ces pommes trempées dans un caramel rouge vif qui faisaient saliver rien qu'en les regardant. Il y avait aussi ce produit de luxe qui était de la glace au sirop : à l'aide d'un rabot l'officiant grattait sur un gros bloc de glace de un mètre, de quoi remplir un grand verre généreusement arrosé de sirop de grenadine ou de menthe que nous sucions avec délice avec une paille.

Puis nous passions aux jeux.

 La fête débutait par la course en sac normalement réservée aux enfants. Mais les adultes, les vieux n'étaient pas en reste, il étaient même les locomotives, se faisant des niches entre eux et donnant du fil à retordre aux plus jeunes. Les courses finies tout le monde s 'égaillait sur les différants stands.

Il y avait une dizaine d'endroits ou tout le monde s'amusait, qui, faisant le pitre, qui, jouant d'adresse pour séduire sa dulcinée.

Mis à part les jeux de massacre sur boites de conserve, la pêche à la ligne ou d’autres jeux toujours d’actualité, je me souviens particulièrement de la padène et de la bassine au son.

 

La padène était une énorme poêle fixée sur un solide poteau dont le cul noirci avait été copieusement enduit de quatre ou cinq boites de cirage noir.

 Au centre, collé par le cirage, une pièce de cinq francs en argent trônait.

 Il fallait, les mains derrière le dos, faire tomber la pièce à terre pour la gagner. Tout était bon : le nez, le menton, les joues, la langue, les dents, mais peu s’y risquaient car l'entreprise était plus délicate qu'il n'y paraissait et l'on ne ressortait pas indemne d'une pareille épreuve car l'impétrant était entouré d'un cercle duquel fusaient autant les encouragements que les quolibets et finissait comme un négrillon aux yeux blancs et à la bouche édentée à cause du cirage fixé sur ses incisives.

Pour la bassine au son il fallait également récupérer une pièce cachée au fond d'une large bassine remplie de son à raz bord. IL fallait bien creuser huit à  dix centimètres avec le visage pour pouvoir récupérer avec la langue et les dents la précieuse monnaie. Cela ne se faisait pas sans étouffements ni sans reprise, sans compter qu'une main taquine avait rajouté un peu de farine au son ce qui fait que le visage qui émergeait au final était blanc comme un revenant au grand plaisir de toute l'assemblée qui hurlait de rire en se tapant sur les cuisses.

Peu à peu les stands se vidaient faute de combattants et de plus en plus de monde commençait à se regrouper au centre du terrain autour d'un grand cercle tracé à la chaux. Après un long moment de murmures, de brouhaha, le cris des enfants se poursuivant dans des poursuites endiablées cessa soudain et le silence se fit.

 

ILS arrivaient.

La buffatière au village de Barre

En effet, une colonne d'une quinzaine d'hommes d'age mûr arrivaient dans le silence en se suivant à la queue leu leu.

Dans ce petit groupe, toute les couches de la population du quartier étaient là. Des petits, des grands, des gros, des maigres, du manœuvre au pharmacien .

 Depuis les hommes dans la force de l'age jusqu'aux très vieux encore valides.

 Dans la pénombre de la nuit faiblement éclairée par les rares ampoules, c’était une procession fantomatique qui avançait au bruit des sabots.

En effet, chacun était revêtu d'une robe de nuit de coton blanc descendant jusqu'aux jambes et coiffé d'un bonnet de nuit pointu terminé le plus souvent par un petit pompon.

Une allée se creusa dans la foule pour permettre à la colonne d'accéder au grand cercle.

En plus de leur accoutrement, les participants étaient équipés de vieux soufflets qu'ils tenaient à deux mains, la pointe tournée vers le ciel.

L'apparition était pour le moins étonnante et cocasse d'autant plus que les grands costauds étaient équipés d'un minuscule soufflet alors que les plus petits brandissaient des engins de dimensions respectables.

La noble confrérie informelle de la Bouffatiére était en place pour officier cette année encore pour le plus grand plaisir des petits et des grands.

 

Un chœur de voix graves et profondes retentit soudain.

Tous les participants formés en ronde, tournés vers le centre, entonnaient le refrain : Alrié, alrié la bouffatiére..., puis, se tournant pour être derrière l'un de l'autre, ils commencérent à tourner en rond en dansant d'un pas glissé, en reprenant : Alrié, alrié la bouffatiére,  Alrié, alrié la bouffatiére, E buffaié al tioul, E buffaié al tioul. (Allez, allez la buffatiére, Allez, allez la buffatiére, et souffle lui au cul, et souffle lui au cul...) bufatiere.mp3 (Objet audio/mpeg) 

Ce faisant, chaque participant soulevait haut la chemise de son voisin devant lui, sans lâcher le soufflet et faisait gicler un jet de farine contenu dans chacun des soufflets, puis les participants faisaient un « tête à queue » avant de repartir dans l’autre sens.

Le tout était assorti de grimaces et de bruits de pets et l'on ne pouvait pas s'empêcher, à voir cette fabuleuse compagnie, de rire à gorge déployée.

Mais il n'y avait pas que les spectateurs qui s'amusaient dans l'histoire car toute bouche largement ouverte par les fous rires était visée aussi par les soufflets et le rire était bien partagé entre la farandole et le public.

Au final tout le monde se retrouvait blanc des pieds à la tête, toussant et crachotant entre deux rires.

 

C'est dommage car je ne me souviens que du refrain de cette chanson qui est restée en moi comme un petit trésor.

Puis, les réserves de farine étant épuisées, tout le monde rentrait en silence, chacun savourant intérieurement le plaisir de cette soirée.

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