CHRONIQUE D’ENFANT 3 L'eau de vie

 

 

 

 

Mon grand-père était un homme sec et mince, le béret vissé sur la tête, le regard malicieux, grand raconteur du chemin des Dames de la guerre de quatorze après avoir bu son café et deux ou trois coup de sa gnole parfumée.

Il avait le privilège de par la loi, étant propriétaire d'une petite vigne de pouvoir faire distiller aux ateliers public jusqu'à dix litres d'alcool, je crois.
Il y avait à mi jardin, juste après la cabane aux lapins qui se trouvait en contrebas, un endroit que l'on appelait « le prunier » auquel on accédait par une petite allée à partir du sentier qui courait de bas en haut du terrain.
Il y avait là un banc en bois rustique adossé au haut de la cabane à lapins et entouré d'une treille. Ce coin du jardin était un havre de tranquillité et de fraîcheur car il était entouré d'arbres et en particulier d'un mirabellier qui portait bien son nom car il était couvert au début de l'été par des milliers de petites prunes jaunes et sucrées qui parfois après un coup de pluie ou de vent créait un tapis jaune d'or au sol que je m'empressais de picorer crachant les noyaux à tout vent en cherchant à battre mes propres records de distance.
Mon grand père avait un petit tonneau de trente litres environ qu'il sortait et posait « au prunier »
De temps en temps, il faisait le tour du jardin et ramassait tous les fruits gâtés ou tombés au sol et soigneusement, avec le couteau pliant qui ne quittait jamais sa poche enlevait la partie abîmée et mettait la partie saine dans le tonneau à travers sa bonde. Il y avait toute sorte de choses dans ce tonneau, des poires Williams sucrées et fondantes sous la langue, des reines Claude au goût de miel, des prunes bleues et croquantes sous la dent, des fraises juteuses et parfumées, du coing dur et âpre à la bouche ( ha ! la gelée de coing de ma grand mère, c'est la meilleure friandise que j'ai mangé de toute ma vie), enfin tout ce qui était sucré ou qui avait du goût sans oublier bien sur les mirabelles.
La partie abîmée n'était pas perdue, récupérée dans une vielle bassine blanche à l'émail tout écaillé, elle faisaient le régal des grosses mouches noires sur le dessus du tas de fumier .
Plusieurs fois dans la saison le petit tonneau était porté à distiller.
La gnole qui en sortait était si parfumée qu'il suffisait d'enlever le bouchon de la bouteille pour que la pièce soit embaumée . Détail ennuyeux d'ailleurs pour mon grand père car ma grand mère avait l'odorat très fin...
J'aimais bien les moments où, parfois , après le café, mon grand père sortait l'eau de vie car souvent il me disais avec un clin d'œil « tu veux un canard ? » immanquablement ma grand mère protestait disant que j'étais trop jeune ; mais lui n'en faisant qu'à sa tête et un peu par provocation, trempait le coin d'un sucre rapidement dans son le fond de sa tasse et me tendait ce pur bonheur que je gardais un instant dans ma bouche sans le croquer.

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